Peu de produits de beauté ont une réputation aussi séduisante que l’Eau de la reine de Hongrie. Très en vogue sous le règne de Louis XIV, celle que l’on appelle aussi « l’eau de Ninon » continue de nourrir tous les fantasmes. La légende raconte qu’elle pouvait rendre la jeunesse aux femmes et même soigner des maux du corps, comme les rhumatismes. Parfum, médicament, élixir de beauté et même philtre d’amour : s’agissait-il d’une opération publicitaire avant-gardiste ou d’une véritable panacée ? La Maison ne conserve de son histoire que l’essentiel : le cœur palpitant d’une nature aux mille et un bienfaits.
Qu’est-ce que l’Eau de la reine de Hongrie ?
Un parfum
L’enthousiasme un tantinet affabulateur qui entoure l’histoire de l’Eau de la reine de Hongrie en ferait presque oublier sa véritable nature. Initialement, il ne s’agit pas d’un secret de beauté naturel, mais bel et bien d’un parfum. Il fut couru par toute la cour de Versailles, lorsque les ablutions parfumées supplantèrent les bains.
Madame de Sévigné, dans une lettre adressée à sa fille, écrivait : « J’en suis folle, c’est le soulagement de tous mes chagrins […] Je m’en enivre tous les jours […] ». Plusieurs sources historiques ont également révélé que d’aucuns s’en servaient pour parfumer leur linge. Quelques siècles plus tard, l’eau de Hongrie sera remplacée par un autre parfum célèbre : l’eau de Cologne (aquae mirabilis).
Un médicament
Cette eau précieuse était également employée comme médicament par la médecine. On lui prête ainsi des vertus thérapeutiques et des propriétés revitalisantes. Les classes aisées la buvaient et l’appliquaient en frictions sur leurs membres malades ou endoloris. Jean-Baptiste Loyson (libraire du XVIIe siècle) conseille par exemple d’en prendre « une fois la semaine une dragme avec quelque autre liqueur […] et en frottez le mal des membres infirmes ».
D’après les écrits de l’époque, l’Eau de la reine de Hongrie (surnommée plus tard « eau de Ninon ») serait notamment capable de soigner la jaunisse, la peste, les rhumatismes, les palpitations cardiaques ou encore les problèmes de foie. Sa renommée médicale atteint de tels sommets que Madame de Maintenon conseille son emploi quotidien aux pensionnaires de Saint-Cyr.
Une eau cosmétique
Bien sûr, les pouvoirs thérapeutiques de l’Eau de la reine de Hongrie lui valurent d’être employée comme élixir de beauté. Les femmes l’utilisaient tous les matins sur leur visage pour le rafraîchir et infuser leur peau des vertus de sa composition.
On lui reconnaissait un prodigieux intérêt esthétique. Les rumeurs lui prêtaient des vertus presque miraculeuses sur la jeunesse et la beauté… Au point de faire naître des sentiments amoureux chez les représentants de la royauté ! C’est d’ailleurs sur un témoignage de ce type que s’est construite la légende de cette eau de jouvence. (Il est aujourd’hui démenti sur le plan historique.)
« Moi, dona Ysabel, Reyne de Hongrie, étant âgée de soixante-douze ans, fort infirme et goutteuse, usai un an entier de la suivante recette, laquelle j’obtins d’un ermite que je n’ai jamais vu ni pu voir. Depuis elle me fit tant de bien que le Roy de Pologne voulut m’épouser, ce que je refusai pour l’amour de Jésus-Christ et de l’ange duquel je crois que j’obtins ladite recette […] »
Madame Fouquet semble corroborer ses vertus cosmétiques dans son Recueil des remèdes faciles et domestiques (1678). Elle écrit, au sujet d’Isabelle, reine de Hongrie : « même elle s’en lavait le visage, ce qui la rendit plus belle ».
Qui était la reine de Hongrie ?
Pourquoi l’Eau de la reine de Hongrie s’appelle-t-elle ainsi ? Qui est cette fameuse reine de Hongrie à laquelle elle est éternellement associée ? Il s’agit là d’un mystère sur lequel les historiens ne semblent toujours pas parvenus à tomber d’accord. Cette zone de flou corrobore la thèse du génie marketing qui aurait entouré l’élaboration de cet élixir « miraculeux ».
On l’a par exemple attribuée à sainte Élisabeth de Hongrie (Élisabeth de Thuringe) et à la Reine Jeanne (Jeanne Ire de Naples, reine de Naples et comtesse de Provence). Historiquement, elle aurait été créée en 1370 pour Élisabeth de Pologne, l’épouse du roi Charles Robert de Hongrie. Une chose est certaine : il s’agit en réalité du tout premier parfum occidental fabriqué à base d’alcool connu.
Quelle était la recette de l’Eau de la reine de Hongrie ?
La composition de l’Eau de la reine de Hongrie a connu plusieurs ajustements au fil des décennies. Originellement, il ne s’agissait que d’un simple alcoolat de romarin (une plante particulièrement prisée des jardins médiévaux). Voici la recette telle qu’on la trouve présentée dans Les Nouveaux secrets (ouvrage anonyme édité dans les années 1660).
« De l’eau de vie distillée quatre fois, la quantité de trente onces et vingt onces d’essence de fleur de Romarin, que l’on mettra tout ensemble dans un vase bien bouché l’espace de cinquante heures, et puis mettez le tout dans l’alambic pour le faire distiller au bain Marie. » (Recette reçue de Monsieur le Chevalier du Broc Cinqmars le 29 septembre 1655).
Par la suite, on lui ajouta d’autres plantes, dont la lavande, le pouliot et la marjolaine. Cette dernière était déjà conseillée par Hildegarde de Bingen contre les irritations, plusieurs siècles auparavant. Certaines sources mentionnent aussi l’eau de rose, le citron, la sauge et l’eau de fleur d’oranger. On parle même de cirse, d’ambre, de bergamote et de jasmin. Un joyeux cocktail botanique, donc ! Le mélange était généralement placé plusieurs jours en macération à la lumière du soleil.
L’Eau de Ninon au XXIe siècle : modernité & amour du végétal
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